Chapitre 1


Le Tsunami

Il est moins de 6 heures du matin lorsque je quitte discrètement la maison. Les enfants dorment encore.
Quand mes affaires sont rassemblées, je vais toujours passer la tête dans leur chambre dans une sorte de rituel de départ. D’abord mon aînée, Chloé, puis son petit frère Thomas, pas encore dix ans à eux deux.
Ces départs matinaux m’ont toujours laissé un arrière-goût de culpabilité. Le sentiment de ne pas être assez présent au cours de leur petite enfance.
Sans savoir à quoi ressemblera ma vie dans les prochaines années, il me vient parfois à l’esprit que mes enfants pourraient grandir dans l’absence du père.
Peut-être me reprocheront-ils un jour de ne pas avoir été suffisamment à leurs côtés au moment où ils en avaient le plus besoin. C’est pourquoi je m’impose de rentrer au moins deux soirs par semaine avant leur coucher, et de passer le plus de temps possible avec eux le week-end, en tentant de laisser à distance ordinateur et téléphone portable.
Je fais le tour du jardin avant de sortir la voiture. Une odeur mêlée d’humus, de bouleau et de millepertuis flotte discrètement. Cet environnement apaisant, à quelques kilomètres de Paris, me ramène à mes premières ambitions, lorsque je rêvais de devenir jardinier.
Mes fonctions actuelles à la tête de Solic, cabinet de conseil en recrutement et en ressources humaines, me procurent une satisfaction quotidienne. Mais quelque part me reste le désir plus ou moins enfoui de donner un jour libre cours à ma passion des plantes.
Tout au long du week-end, des informations alarmistes ont circulé au sujet de Lehman Brothers. La banque d’affaires est au bord de la faillite. Ce lundi 15 septembre 2008 au matin, des tractations sont encore en cours pour sauver ce qui peut l’être.
Voilà plus d’un an que l’instabilité des marchés pèse sur l’économie mondiale. Les gros cabinets de recrutement comme Solic commencent à en percevoir les effets sur l’emploi. Dès le printemps 2008, des signes de tension sont apparus chez nos clients de l’industrie et des services financiers. Sans aller jusqu’au gel des embauches, les volumes de recrutement ont accusé un ralentissement par rapport à l’année précédente.
Cette tendance s’est notablement accentuée au cours de l’été. J’ai dû prendre une série de mesures d’économie en plein mois d’août. Heureusement, septembre s’annonce plus prometteur.
Dans l’après-midi, Henri, mon associé en charge de la direction commerciale, vient frapper à ma porte:
«T’as vu les infos? Lehman Brothers a été mis en faillite. »
La nouvelle fait les gros titres. Sur le site du Monde, un bandeau rouge écarlate répercute l’information.
Visiblement, le pessimisme est monté d’un cran par rapport au week-end. À la lecture de la presse, un chiffre dépasse mon entendement : l’établissement aurait accumulé plus de 600 milliards de dollars de dette. Par l’irresponsabilité de nombreux prodiges de la finance, c’est le PIB d’un État comme la Turquie qui risque d’être ainsi dilapidé. Une fracture, dont on découvre chaque jour un peu plus la profondeur, sépare décidément le monde de la finance et l’économie réelle.
À 18 heures, mon téléphone sonne. À l’autre bout du fil, la directrice des ressources humaines d’Invest Banking, l’une des principales banques d’affaires françaises. Nous venons d’entamer pour elle une série de huit missions de recrutement, qui constitue l’un de nos plus beaux succès commerciaux de ces dernières semaines.
«Nicolas Doucerain?
— Bonjour Nicolas, Véronique Chamier à l’appareil.
Écoutez, je n’ai pas une très bonne nouvelle à vous annoncer…»
Les muscles de mon cou se tendent, je retiens ma respiration.
« J’imagine que vous avez entendu comme moi les infos au sujet de Lehman Brothers. Alors écoutez, je ne vais pas tourner autour du pot. Nous avons eu un comité de direction exceptionnel, où il a été décidé de geler tous les recrutements.
— Pardon?
— Je suis désolée. »
Incrédule, j’ai du mal à saisir le lien de cause à effet entre la faillite d’une banque de Wall Street et la réduction du carnet de commandes d’une PME d’Issy-les-Moulineaux. Invest Banking reporte sine die tous les recrutements. Véronique Chamier me fait part de l’affolement des dirigeants de l’établissement. Dans l’expectative la plus totale, ils manquent de visibilité sur l’état de leurs bilans financiers. Une partie de leurs actifs, dans des proportions encore inconnues, sont placés en produits dérivés de type subprimes ; ceux-là mêmes qui viennent de faire plonger Lehman Brothers. Des mesures d’économie drastiques se profilent.
Et Véronique Chamier doute que la situation soit meilleure chez les concurrents :
«Tout le monde a un peu joué avec le feu sans savoir vraiment comment l’éteindre. »
Stupéfait, je vais trouver Henri.
«Très mauvaise nouvelle. Je viens d’avoir la DRH d’Invest Banking. Ils annulent toutes les missions ! Ils stoppent tout. Gel des recrutements. Ils flippent pour leur bilan, qui pourrait être bourré d’actifs toxiques. Ils ont eu un comité de direction exceptionnel toute la journée, ils ferment le robinet.
— Tu plaisantes ? On avait combien de recrutements chez eux ? Sept ou huit, quelque chose comme ça ?
— Huit ! On vient de perdre 60000 euros!»
Henri n’en revient pas plus que moi. C’est la première fois que nous devons faire face à une annulation sèche de tant de contrats. Il faudra prévenir demain matin les consultantes concernées et voir avec Marion, leur responsable, sur quelles missions elles pourraient être affectées en attendant la signature de nouveaux contrats.
Le lendemain matin, dès mon arrivée au bureau, j’appelle un à un nos clients du secteur de la finance. Les trois premiers appels font chou blanc: les états- majors sont en réunion de crise. Au quatrième appel, je tombe sur le DRH d’un grand groupe bancaire. Ses propos confirment le malaise: «On est dans le flou le plus total. Pour l’instant, tout le monde fait ses comptes et évalue tant bien que mal son exposition sur les marchés. Certains vont se retrouver tout nus.
Nous, on ne sait pas encore. Ce qui est certain, c’est que l’emploi risque d’en prendre un sacré coup, en tout cas dans nos métiers. »
À 10h50, appel d’Ophélie, responsable commerciale chez Solic. Au timbre de sa voix, je devine son inquiétude.
« J’ai le directeur de l’usine Metalizer de Nordville en ligne, il voudrait te parler en live. Il ne m’a pas dit à quel sujet, mais c’est urgent. »
Je le prends. Sans détours, il m’annonce l’interruption de la quasi-totalité des recrutements. Il s’agit d’une décision prise à l’échelle européenne sur laquelle il n’a aucun moyen d’intervention. J’accuse le coup. Trois consultantes de Solic travaillent à temps plein dans les locaux de l’usine de Nordville. Elles procèdent chaque mois à des dizaines d’évaluations
de candidats. Du jour au lendemain, trois de mes collaboratrices se retrouvent avec un plan de charge réduit à néant. Dans l’après-midi, tandis que j’espérais profiter d’un battement entre deux rendez-vous pour discuter avec mes collaborateurs, mon assistante intervient :
Fabrice Amboise, directeur des ressources humaines d’Assuranciel, a cherché à me joindre. Il souhaite que je le rappelle le plus rapidement possible. Solic a plusieurs contrats en cours avec lui.
«Bonjour Monsieur Amboise, Nicolas Doucerain à l’appareil.
— Bonjour Monsieur Doucerain, je vous remercie de me rappeler. Écoutez, je n’ai pas une bonne nouvelle à vous annoncer… »
Le refrain commence à devenir familier.
«Vous avez suivi l’actualité comme moi. Lehman Brothers hier, aujourd’hui HBOS…»
Pendant que Fabrice Amboise tourne et retourne sa déclaration, je découvre sur Internet que le groupe bancaire britannique est au bord de l’effondrement.
Le cours de son action a chuté de 50%. Il fait face à une grosse pénurie de liquidités.
«Nous allons devoir annuler les six missions de recrutement que nous vous avions confiées. »
Je ne cherche même pas à calculer la perte nette que cela représente pour Solic. Pendant que Fabrice Amboise m’évoque la «bérézina» du secteur, je prends une profonde inspiration et me rends à l’évidence :
Solic va être confrontée à une crise sans précédent, d’une violence inouïe.
En à peine deux mois, du 15 septembre au 15 novembre 2008, cent quinze missions de recrutement sur deux cent dix sont annulées ou reportées sine die. Tout au long de cette période, pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle désastreuse ne nous parvienne, laissant une équipe commerciale tétanisée et des consultants plongés dans des abîmes d’angoisse.
Pas un des huit bureaux que compte le cabinet en France, en Suisse ou en Algérie n’est épargné. Pas un des quatre-vingt-sept collaborateurs du groupe n’est à l’abri, tous touchés à des degrés divers par les conséquences d’une crise qui s’est abattue sur Solic comme une vague, balayant des années d’efforts, de réussite et de confiance en l’avenir.
Ce mardi 16 septembre 2008, lorsque s’achève la conversation avec le directeur des ressources humaines d’Assuranciel, je suis pourtant loin d’imaginer qu’un an plus tard, deux tiers des emplois de Solic auront disparu et que le cabinet luttera pour sa survie après avoir été placé en redressement judiciaire.

5 commentaires:

  1. Vivement le 2ème chapitre...pouvons-nous commander le livre par internet avant le 5 janvier car je souhaite l'offrir à mon père, il est lui-même chef d'entreprise ?
    lAURENT

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  2. Très bon début… que beaucoup de patrons d'entreprise de services ont vécu avec la même violence.

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  3. Bonjour,
    Effectivement, la sortie du livre est fixée au 5 Janvier 2011, vous pouvez dès à présent le commander sur des sites comme la FNAC, RUEDU COMMERCE.COM...
    Nicolas Doucerain.

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  4. Prévoyez-vous de le rendre disponible en version numérique pour le Kindle ?

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